Regna Ferox, enfin, après tant de temps. Cela faisait des mois que l'équipage de La Belle Écarlate n'avait pas posé le pied sur terre. Une mission commerciale et de surveillance avait retenu l'équipage en mer pendant un temps relativement long. Si Madame le Capitaine, dans sa cabine luxueuse n'avait pas trop souffert de ce manque de terre ferme, ses hommes, eux, avaient un peu de mal à composer avec cette vie de flibustier. Les pauvres n'avaient pas vu leurs familles et leurs femmes depuis trop longtemps, et c'était d'ailleurs pour cette raison que Rowena avait consenti à rentrer au bercail. Amère, la jeune femme détestait pour sa part ses moments à terre. Personne ne venait l’accueillir, elle n'avait pas d'amis, uniquement ses subordonnés et quant à sa famille, elle n'en avait plus depuis longtemps. La seule figure paternelle qui aurait pu lui rendre visite était également en voyage. Au moins, elle pouvait toujours compter sur son plus ancien compagnon : le whisky.

Avec les événements qui s'étaient récemment produits en Ylisse, elle ne doutait pas qu'Alcetio la convoque afin de discuter un peu et de savoir s'il y avait d'autres événements au travers du monde. Mais, pour l'instant, la corsaire n'avait pas envie de se perdre en palabre. Son palet attendait avec impatience de se réchauffer au contact de l'alcool. Avec un peu de chance, elle trouverait de la compagnie pour la nuit et un pigeon a plumer au jeu. D'un signe de tête, elle salua son second avant de disparaître dans la foule, enfin, si cela était possible. Il fallait dire qu'elle ne passait pas tellement inaperçue avec son long manteau parfumé aux embruns de la mer, son tricorne ainsi que sa longue chevelure flamboyante.
Sur le chemin, elle pensa que ce monde devenait fou. Ylisse, le royaume le plus paisible s'était fait attaquer et le gamin, Ayden, qu'elle connaissait depuis des années et qu'elle avait battu à plat de couture lors du tournoi des Khan était devenu prince de cette nation. Valm, la nation la plus fermée au monde était venue en aide pendant cette bataille sous les ordres de son nouvel empereur. Rowena soupira et se dit que, les tempêtes, les monstres marins et les gueules de bois sur un bateau en pleine houle étaient finalement des choses faciles a affronter.

C'est dans un grand fracas qu'elle ouvrit la porte de la taverne. Le patron ne prit même pas la peine de faire un commentaire : il savait que cela ne servait à rien. Depuis le temps que la jeune femme arpentait cet établissement, elle était pratiquement chez elle ici. D'ailleurs, elle constata que, comme a chaque fois que le tenancier avait vent de son retour, il avait arrangé la table près de la cheminée pour elle, avec une bonne bouteille. Elle salua le vieil homme avec un grand sourire et un rire sonore avant d'aller se poser dans son coin, les pieds sur la table et la bouteille vissée aux lèvres. Rowena soupira d'aise avant de plonger son regard dans les flammes. Si elle était une fille de la mer et du vent, elle appréciait tout de même la chaleur d'un bon foyer. Comme toujours, l'alcool était plaisant et personne ne venait troubler sa tranquillité. Tous ou presque savaient que la jeune femme créerait elle-même ses propres problèmes avec le temps et l'ivresse. Et si, personne ne refusait une bonne bagarre, Rowena avait une sale réputation concernant les échanges sociaux musclés.

Elle en était arrivée aux trois-quarts de la bouteille lorsqu'elle commença à vociféré des insultes envers quelques personnes dans l'établissement. Sans réelles raisons, ni motifs. Juste pour le plaisir de délier sa langue, après tout, il lui était impossible de faire ce genre de choses avec son équipage ! Elle devait rester la femme forte et autoritaire devant eux. Non, sur la Belle Écarlate, Rowena avait la noblesse de picoler en privé. Non seulement pour éviter de perdre la face devant son équipage, mais aussi pour éviter de mettre quelques mousses un peu jolis garçons dans ses draps : les hommes, ça s'attache un peu trop vite sentimentalement parlant. Parfois aussi, physiquement parlant, s'ils n'arrivent pas à ronger les liens en cuir pour le lit.
Soudainement, la jeune femme réalisa qu'il y avait un visage connu dans cette taverne. Entouré de plusieurs personnes, Ayden était là. Esquissant un sourire narquois, Rowena s'approcha et sans la moindre gêne, se servit d'un des interlocuteurs du jeune prince comme d'un siège. Le bougre protesta dans un premier temps avant de se raviser sous le regard assassin de la capitaine – et puis, il fallait bien l'avouer, il y avait pire comme situation.

« Maaais c'est Aydeeeen. Qu'est-ce que tu fais là mon chaton ?! Comment tu vas ? » Demanda-t-elle plus par formalité qu'autre chose. À vrai dire, s'il lui avait répondu, Madame le Capitaine n'avait absolument pas prêté attention aux dires du jeune homme et pendant quelques minutes, elle essaya de comprendre la conversation que le prince avait avec ses anciens compagnons feroxiens.

« Tu bois pas ? C'est quoi ce travail ? T'es plus un homme ? » Intervint-elle soudainement, interrompant une conversation qu'elle et son esprit embrumé jugeaient sans importance.
« D'ailleurs, tu t'es trouvé une nana en Ylisse ? Ou tu te fais p'tet une jolie militaire de Valm, t'as raison, elles sont plus énergiques au lit, hahaha » Déclara-t-elle avant de boire une grande gorgée de whisky.

« En tout cas, t'as toujours pas un poil sous le menton. C'est un truc que l'Empereur Imberbe t'a appris ? J'espère que t'es plus fournis ailleurs, sinon, tu vas faire fuir les donzelles du pays mon petit chéri ! » Ajouta Rowena tout en ricanant légèrement.

Ayden avait toujours eut des réactions particulièrement amusantes à ses remarques, d'ailleurs, elle était presque sûre que c'était la petite conversation à propos des « jolis fesses » du jeune homme qu'ils avaient eut avant de combattre pour les Khans qui était à l'origine de sa victoire – et puis le fait qu'il n'avait vraiment aucune fibre pour la magie... En attendant d'observer les différentes teintes de rouges sur le visage de son interlocuteur, Rowena en profita pour s'installer plus confortablement sur le petit gros qui lui servait de chaise avant de venir se poser un peu plus lascivement sur la table. La soirée ne faisait que commencer et, Madame le Capitaine, sentait que pour une fois, elle allait s'amuser.