Le mal et le bien sont le baromètre de notre jugement, ils indiquent la valeur et les conséquences de nos actes. Ashe tente de garder l’équilibre le plus juste entre ces forces colossales qui se défient depuis la genèse de l’univers. Elle est comme une balance qui juge les actes, avec l’impartialité la plus impassible dont elle sait faire preuve, prête à tendre sa main vers les éplorés, tandis que les autres assistent à son courroux glacial.

Ashe est le bouclier qui protège.
Mais elle est aussi la lame qui détruit.

Elle est implacable, Ashe, abrupte même, le menton relevé avec fierté, son pli de paupière marqué d’un air sévère. Le sourire et la joie ont déserté son visage depuis un temps qu’elle ne compte même plus. Elle donne l’impression d’être fait de glace, ses expressions sont éteintes de ses yeux, impossible de discerner ce qu’elle peut ressentir – mais elle est pourtant capable de compassion. Jamais elle ne laissera le fort avoir l’ascendant sur le faible, les âmes en qui elle n’a pas confiance aborde son regard le plus froid. Rien ne lui échappe, à Ashe, elle est comme le Cerbère qui surveille l’antre des morts. Toujours aux aguets, jamais amorphe, Ashe observe tout – sans rien dire, avec le silence qui résonne comme seule sentence lorsqu’elle prend sur le fait. Sa méfiance est aussi aiguisée qu’une hache et sa confiance n’est jamais entièrement acquise, sauf rare exceptions. Mais dans un monde de paix ayant été réduit à un champ de bataille perpétué par le chaos l’oblige à tenir une distance entre elle et les autres.

Il n’y a pas à douter d’une personne comme Ashe, la loyauté fait partie des paramètres archaïques de sa psyché. Elle n’est pas faite de ténèbres, elle peut être le phare qui éclaire lorsque les doutes assaillissent ses proches, elle ne le fera pas par la tendresse car c’est un langage qui lui est totalement inconnu, mais elle est l’épaule sur laquelle l’on peut se reposer, et l’on sait qu’elle n’émettra aucun jugement sur les moments de faiblesse, elle les accepte avec silence.

Ashe n’est que sérieux et discipline, tellement faites de principes et de valeurs, qu’elle en oublie de vivre. « Ne pleure pas, ne cède pas. » s’infligeant à réagir par automatisme que par sentiments. Même si l’empathie et la compassion l’habite, on le ne sait jamais, parce qu’elle ne le montre pas. Son âme est cloisonnée par des murailles qu’elle a érigé au fil des années et dans laquelle elle se confine pour se protéger.

Son ambition et sa combativité sont sa plus grande arme, jamais Ashe ne laisse tomber, quitte à embrasser le sol et la poussière pendant des heures, elle n’abandonne jamais. Jamais.

L’automne, Ylisse se parait de son manteau ambré. Les feuilles séchées aux ramures des arbres, se déposaient, après une longue valse avec le vent, sur des cheveux d’argent. Il y avait le bruit sourd de baisers entre deux épées, le choc du fer contre l’acier, d’un homme contre une enfant.

« Ashe ! Ta garde ! Tu es bonne en vitesse et technique, mais pas à la garde ! Résiste ! Allez !»

L’enfant se réajuste selon les dires de son père, s’accapare ses mouvements pour les faire devenir siens. Ashe n’a que sept ans et son apprentissage a commencé depuis plusieurs mois, dirigé par l’autorité impérieuse de son père, un veilleur fier de son titre. Un père aimant mais ne sachant pas comment l’exprimer à sa fille si ce n’est en lui transmettant le langage des armes. Elle avait de la place pour exister, dans le regard de ses parents, ce désir d'être l’édifice de leur fierté, dans cette quête de réussite, de perfection qu'elle avait faite sienne jusqu'à pouvoir effleurer l'entière satisfaction.
Après l’entraînement, son père s’assit et elle vint s’approcher de lui, comme un animal à moitié sauvage. Il appuya sa main lourde sur le haut de sa chevelure blanche et vint y déposer un baiser.

« Je suis fier de toi, ma fille. Je sais que tu y arriveras. Que tu seras ma fierté et celle de ta mère. »

Ashe hocha plusieurs fois la tête, le sourire aux lèvres.

« Mais pour cela, Ashe, il faut que tu t’entraînes tous les jours et tes efforts seront un jour récompensés, ta maîtrise va s’affiner, tes coups se préciser. »

Son père était un homme fier à la volonté aussi inflexible que l’acier. Tantôt grave et sous contrôle, tantôt facétieux et imprévisible – et c’était ce que Ashe cherchait en permanence chez lui, à défaut de n’avoir de tendresse ni d’amour, elle admirait son père et cherchait sa fierté dans tous ses actes, vu que c’était le seul moyen, pour elle, d’avoir de l’attention de sa part.  


Ashe a treize années désormais. Elle est programmée pour le combat par les entraînements acharnés de son père, accompagnée du fils d’un de ses amis, Clemente. Sûrement l’un des premiers avec qui, au fil des années, Ashe réussi à tisser une amitié intense et puissante. Clemente était un épéiste naturellement doué à l’épée, les yeux pétillants de malice, alors que ceux de Ashe étaient déjà éteints dans le froid. Ils s’attiraient comme la puissance des aimants mais se repoussaient presque immédiatement, leurs différences faisaient leurs complémentarités.  

« - Clemente, siffla la mère plongée au sein de la demeure, ne préférant pas assister à ce type de combat. Clemente, veux-tu manger à la maison une fois votre entraînement terminé ?
- Oh ouais carrément m’dame !

Et autant dire que Clemente était un fils d’un célèbre épéiste et d’une grande mage renommée, malheureusement peu présents dans sa vie. Alors il était gardé par des mages, mais des fois, il passait et dormait chez les parents d’Ashe, sûrement en quête de la chaleur d’un foyer.




Ashe est morte une première fois. C’était lorsqu’elle avait quinze ans.
Ce fût cette nuit-là où tout dégénéra et que son sourire se fana à jamais de ses lèvres. C’est aussi ce soir-là, que son visage fût marqué à jamais, comme une tache indélébile que même les années n’ont jamais effacé. Que jamais rien n’effacera.

Ce fût l’odeur du brûlé qui la réveilla, les flammes léchaient les bâtisses voisines et des cris retentissaient comme des échos torturés dans le petit village. Ils étaient attaqués par des brigands, persuadés que le monde se déroulait à leurs pieds. Elle entendit son père et sa mère bataillaient.
« Non ! Tu t’en vas avec Clemente et Ashe, je ne veux pas que vous restiez là, c’est dangereux !
-On ne part pas sans toi ! Tu es fou ? Attends ! Tu ne peux pas – Attends !
Et il ouvrit la porte à la volée et s’enfouit dans le champ de bataille. Ashe recula par réflexe, saisit son épée et lui emboîta le pas, dans une course effrénée, en ignorant les ordres de sa mère qui résonnaient comme des acouphènes dans son âme.
S’enfonçant dans les artères principales du village, elle l’aperçut, le corps de son père gisant dans une mare de sang. Ses yeux s’écarquillèrent jusqu’à en jaillir de ses orbites, un cri muet lui obstrua la gorge, sa mâchoire se crispa d’une violence sans nom.
Face à elle, un homme tenant un tome, qu’elle accusa directement d’être le meurtrier de son père.
Elle fonça sur lui, l’épée brandit comme une lance, prête à venger la mort de son père, les larmes aux yeux.
Puis le noir total.
Une douleur fulgurante au niveau de l’œil.
Du sang et des ruisseaux de larmes répandus sur les mains et sur son visage. En face d’elle, Clemente tendit sa main en souriant tristement et Ashe sentit soudainement combien elle pouvait être fragile, vulnérable.

Marquée à vie.
Elle se jura que cela n’arriverait plus jamais.




Ashe a dix-huit ans désormais, elle a quitté le foyer familial. La chaleur et les fossettes de ses sourires se sont évaporés avec la mort de son père, les seules rares personnes ayant le privilège d’y assister rarement étaient Clemente et sa mère.
Après la mort de son père, Ashe a redoublé d’efforts dans ses entraînements, s’arrêtant que lorsque ses mains, salies par le sang à cause du frottement, n’étaient plus capables de tenir l’épée. Quand elle estima qu’elle était suffisamment forte et prête, ses pieds iraient fouler la terre des autres pays, pour apprendre et parce que son ambition était autre que de finir dans une chaumière à nettoyer du linge. Sa mère ne la retint pas mais exigea la présence de sa fille au moins tous les quatre mois.




Ashe vient tout juste d’avoir vingt ans, elle n’a cessé de grandir et de respecter ses paroles et de rendre visite à sa mère. Clemente la suit sur la route, étant son seul appui et fidèles amis. Ensembles, ils arpentent Ylisse, offrant le soutien de leurs épées à ceux dans le besoin. Elle a hérité, à travers les rencontres qui ont marqués sa vie, un peu de chacun. De l'ambition de son père, du calme inné de sa mère, la maturité poignante de Clemente. Elle détient en elle un petit bout de leurs souhaits.