Adaline jubilait, des bruits de voix se faisaient entendre dans le vestibule. La veille au soir, cet étranger patibulaire appuyer au balcon d'une maison de la Place des Lumières avait attisé sa curiosité. Elle avait été tellement persuadée qu'il ferait fit de son invitation... et pourtant son "père" lui avait annoncé la visite de Ki'Wo le matin même. Les cuisines étaient en ébullition. La réputation des d'Escrot d'Estrée était à chaque fois remise en cause à la visite d'une nouvelle personne. Il était dur de maintenir un seuil de perfection infaillible. Bien sûr la présence d'Adaline gâchait un peu le tableau, mais les étrangers s'en rendaient bien moins compte que les dirigeants du pays. Après tout, une femme membre de la garde royale, qui plus est issue de famille noble... cela faisait tâche dans le décors de Rosanne. La jeune marquise avait appris à apprécier son poste, mais elle aurait aimé qu'il lui soit utile à déjouer tous les complots dont elle avait été au courant ces dernières années. La milice était toutefois aux mains du gouvernement. Rien ne pouvait être fait à l'encontre de ces grands seigneurs plus pourris les uns que les autres.

C'est en pensant à lui ce matin-là que la jeune femme s'était préparée. Elle espérait sincèrement qu'il serait présent. Pour une fois, une personne intéressante s’assiérait à la table des d'Escrot d'Estrée. De quoi mettre un peu de piquant dans leurs conversations. Adaline aimait de plus en plus faire affront à ses parents, et invité ce genre d'individu dans leur demeure était un parfait moyen de les déstabiliser. Elle espérait encore qu'ils changeraient... mais le pouvoir et l'habitude de l'utiliser de manière controversée risquait d'être dure à défaire. Elle y pensait encore devant son miroir. Elle portait aujourd'hui une robe de couleur ocre rehaussée de touches de jaune. Son maquillage, esquissé par les soins de sa nourrice, s'accordait à la perfection avec sa tenue. Avec ses cheveux courts, la jeune marquise n'avait pas l'occasion de se faire de splendides coiffures, et elle s'était contentée d'attacher l'avant de ses cheveux en demi-queue, et de laisser échapper ses quelques mèches rebelles autour de ses yeux. Pinçant ses joues pour se donner du courage et rafraîchir son teint, elle se leva de manière déterminée, enfila ses escarpins et sorti de sa chambre. Du haut du premier étage, elle aperçut des silhouettes dans l'entrée et eu un léger sourire avant d'emprunter les marches recouvertes de velours vert. Pour une fois elle n'avait pas besoin de se forcer.

Ses talons résonnèrent sur le marbre blanc. La taille du vestibule était disproportionnée par rapport au nombre d'invité et Adaline pensa encore à cette habitude qu'avait les dirigeants de ce pays à vouloir impressionner leurs invités. Les meubles décorant l'endroit ne laissait pas non plus indifférents. Meubles sculptés en cèdre et sapin, la plupart portaient une dalle de marbre de couleur sur le dessus et tous étaient vernis, pour un résultat transpirant la richesse. Les objets posés dessus visaient à agrémenter le tout, bibelot insignifiant si ce n'était pour leur beauté exagérée. La jeune femme n'aimait réellement pas cette pièce... elle préférait largement le bureau de son "père", où il préférait garder les objets de valeurs autant historiques et sentimentales que prodigieusement coûteux. Elle s'avança lentement vers le groupe d'individus, à pas régulier. Le bruit de ses talons avaient déjà dérangé les discutions, il fallait à présent jouer la sérénité et apparaître dans un halo de grâce artificielle pour épater la compagnie. La jeune marquise n'appréciait pas forcément jouer à ce genre de mise en bouche comme l'appelait ses parents, mais elle avait déjà invité ces gens sans en avoir réellement l'autorisation... elle n'allait pas en plus enchaîner d'affront trop souvent au cours du repas. Toutefois, si cet inconnu était de la trempe qu'elle espérait, elle n'aurait pas à être la seule trouble fête. Elle aperçut la silhouette de l'inconnu apparaître et son sourire s'élargit. Elle ne l'observait pourtant que du coin de l'oeil, préférant reporter son attention sur l'invité de marque.

"Seigneur Ki'Wo!" dit-elle avait bien trop de contentement dans la voix. "Je suis tellement ravie de vous revoir! Cela faisait longtemps que vous n'étiez pas venu nous rendre visite."

Son ton la rendait malade. Elle n'avait pourtant pas la possibilité de faire autrement. Ce petit homme rondouillard aux yeux porcins, la mettait particulièrement mal à l'aise. En quelques heures, sa sueur embaumait la salle à manger, et la manière qu'il avait de se frotter ses mains moites en voyant un plat arrivé ou en la regardant la répugnait particulièrement. L'homme lui saisit la main pour y déposer un baiser et Adaline faillit esquisser un rictus de dégoût. Toutefois il était entouré de sa suite, elle ne pouvait pas se le permettre. Aussi son sourire se contenta-t-il de se faire bien plus crispé qu'avant.

"Bonjour ma dame, les affaires sont ce qu'elles sont, elles ne me permettent pas toujours de quitter mon toit. Mais venez donc à Chon'sin, je vous y réserverai un séjour de reine."

"Vous êtes trop aimable."

"Oh oui! Où avais-je la tête? Ko'Wei? Ko'Wei? Vite viens par là! J'ai demandé à ma nouvelle escorte d'aller vous chercher un présent. J'espère qu'il sera à votre goût."

L'homme continua à déballer ces propos les plus inutiles les uns que les autres, mais Adaline avait arrêter d'écouter. Elle avait enfin l'occasion de porter son attention sur le seul qui l'intéressait réellement en ce moment. Son sourire disparaissait tandis qu'elle l'observait. Il avait étrangement la même allure que la nuit dernière, comme si le clair de lune ne semblait pas vouloir arrêter de l'éclairer. Ses yeux étaient d'un bleu pâle des plus dérangeant, comme s'il vous transperçait d'un seul regard. Il était grand et maigre. Ses cheveux noirs contrastait avec sa peau laiteuse. Il ne semblait pas être membre de la noblesse et la jeune femme se demanda de quelle manière il en était venu à servir Ki'Wo. Ce n'était pas le genre de personne dont un dignitaire souhaitait s'entourer. Pas assez beau, pas assez lumineux, pas assez souriant, pas assez élégant. Et pourtant un once de charisme accrochait le regard. Son apparence devait rebuter ses parents au plus au point! Rien que son entrée dans le demeure avait rendu la visite singulière et divertissante. Un large sourire s'étendit finalement sur le visage d'Adaline qui lui adressa un simple hochement de tête. La journée risquait d'être riche en rebondissement!

"Enchantée messire, je m'appelle Adaline d'Escrot d'Estrée."

Suite à sa brève présentation, la voix de son "père" intervint.

"Bien passons donc dans le petit salon voulez-vous? Un apéritif a été préparé en votre honneur!".