Neuro avait beau regarder la choppe posée devant lui sous toutes les coutures, l'envie de s’essayer au breuvage manquait cruellement. Comment une bonne bière pouvait être si... dérangeante? Tout homme sain de corps et d'esprit aurait goulûment lampé ce nectar afin qu'il finisse dans sa bedaine. Le pécher de gourmandise est si présent après tout parmi les roturiers. Après avoir trimé toute la journée, succomber au calice de l'ivresse était chose commune. Cela restait aussi vrai pour les nobles, qui eux n'avaient pas à travailler, mais succombaient pourtant à l'alcool. Non de bière, mais de plus alléchants et hors de prix  grands crus. Ce n'était pas seulement le contenu, mais aussi le contenant qui évoquait l'effroi. La chope était ébréchée et devait avoir du vécu. En ne prenant pas garde, se trancher la langue aurait été chose aisée. Tandis que l'homme au blanc manteau inspectait avec un œil dubitatif la boisson, un laguz aux oreilles pointues et pelucheuses se plaça à sa droite. Trop captivé, il ne le remarqua pas tout de suite, malgré sa nature assez méfiante et sur le qui-vive. Peut-être cela était dû au fait qu'il y avait quelque chose d'assez déstabilisant, voir traumatisant, pour quelqu'un de haute naissance à se retrouver dans pareil endroit si mal famé et en piteux état. Neuro finit par tourner la tête, voulant observer les autres clients. Ou plutôt s'assurer que les énergumènes osent s'abreuver de pareil mixture digne d'une expérience alchimique ayant mal tourné. C'est ainsi qu'il croisa le regard de l'homme chat, qui n'attendait que cet instant pour engager la conversation. Demandant au nobliau s'il n'aimait pas sa bière. Selon ses dires, il en était le fournisseur. Voilà donc qui était responsable de ce poison aux vagues allures de bière. Le criminel venait enquêter sur la clientèle, ou étais-ce une boutade cherchant querelle? En tout cas, le patron du bar sembla s'offusquer de la remarque, qui sous-entendait l'amour avec lequel le sacripant le fournissait. L'ancien combattant semblait ne pas être quelqu'un aimant les blagues. Préférant le premier degré au second. Ou alors, sans doute qu'il n'appréciait pas son fournisseur aux oreilles félines. C'était peut-être les deux. Ou alors une tout autre raison des plus obscures et insoupçonnées. Neuro pu conclure rapidement que les deux zigotos étaient un peu comme chiens et chats. La réponse à la question concernant la bière était des plus évidentes. Elle n'impliquait aucune interrogation, mais bel et bien une constatation évidente. La réelle question du point de vue de Neuro concernait ce que lui voulait l'homme-chat. Voulait-il seulement discuter, ou bien était-il un renard préparant un mauvais coup? Lui laissant le bénéfice du doute, le noble attendit la suite. L'interlocuteur prit ses aises en s'asseyant sur un banc, qui menaçait de s'écrouler à n'importe quelle occasion. Tombant son masque de sourire malicieux, il demanda ce qu'un monsieur venait trouver en ce lieu de perdition que la morale réprouvait. Neuro observait l'homme, tout en gardant un visage digne d'un joueur de jeu de cartes. Il répondit afin de satisfaire la curiosité de l'individu.

" Un monsieur vient ici principalement pour deux raisons. Soit pour se rafraîchir le gosier, soit en quête d'informations ou d'affaires liées à certaines activités se voulant discrètes. Comme vous avez pu le remarquer, ce n'est pas la boisson qui motive ma visite. "

La réponse se voulait assez évasive. De ce fait, elle entraînait d'autres questions. Bien sûr, Neuro n'attendit pas leurs arrivées pour y répondre.

" Comme vous avez dû le deviner, je suis à la recherche d'informations. "

Neuro tira un parchemin de l’intérieur de son manteau, afin de le dévoiler au laguz. Tout en continuant de lui expliquer. Le rouleau arborait un portrait représentant une jeune femme ayant un air malicieux. AYant de grands yeux et des cheveux mi-longs. On ne pouvait pas dire que l'esquisse était des plus fines, mais elle donnait un visage assez représentatif. Ne manquant pas de regarder la réaction de l'individu, mi-homme, mi-animal, qui découvrait le visage présent sur le rouleau de papier assez luxueux. Il ne s'agissait pas de l'une de ces vulgaires affiches ou avis de recherche de piètres qualités et placardés dans les rues mal famées.

"Je suis à la recherche de cette demoiselle. Il s'agit de la jeune sœur d'une de mes connaissances. Cette dernière à mystérieusement disparue. Connaissant son penchant pour l'alcool, j'en ai conclu qu'il y avait de fortes chances qu'il y ait une piste dans l'un des établissements vendant des spiritueux. Bien sûr, toute information permettant de la retrouver sera récompensée." S'apercevant que le tavernier avait mystérieusement disparu, il poursuivit " Je comptais demander au patron s'il l'avait vu, mais ce dernier semble s'être absenté. Vous n'auriez pas vus la demoiselle par hasard? "

Neuro attendit la réponse de la part de l'homme aux oreilles outrageusement pelucheuses. Peut être savait-il quelque chose. Après tout, le fournisseur d'alcool avait peut-être aperçue la pochtronne en train de lui dérober quelques tonnelets de bière. Quand on est sujet à une addiction, on est bien souvent prêt à tout pour l'assouvir. Surtout à la capitale du vice et de la décadence, où tout est permis. Les freluquets n'avaient aucune limite, ainsi que les sangs-bleus, lorsqu'il s'agissait de félonie. Mais de là à croire qu'une frêle jeune femme, visiblement de bonne famille, irait dans les extrêmes afin de satisfaire sa soif obsessionnelle, cela en faisait froid dans le dos. Mais la scène de Rosanne réservait plus de surprises que ce à quoi on pouvait s'attendre. Un coup de théâtre est si vite arrivé... Vous n'en croiriez pas vos yeux. Et les nobles étaient renommés pour leurs extravagances et autres bizarreries. Bien plus que les roturiers et la populace. Cela etait un fait indéniable.

La réponse de la part de son interlocuteur fut assez logique en elle-même. Neuro n'était pas réellement surpris par les paroles de l'homme félidé. Qui, ce dernier, sembla quelque peu exaspéré par la question du noble. Il sous-entendit que si pareille fleur s'aventurait par ici, elle aurait vite fait d'être sauvagement assaillie par la clientèle peu recommandable et se serait faite violemment culbutée dans tous les sens jusqu'à ce que mort s'en suive. Pour sûr, cela était indéniable. Le noble lui-même n'était pas à l'abris de ce danger, selon ses dires. Cependant, pour sa défense, le noble avait quelques atouts dans sa manche. Après tout, un malencontreux coup d'épée castrateur serait si vite arrivé envers malappris cherchant querelle. Il était proie moins facile, mais pourtant pas moins appétissante. Son magnifique manteau d'un blanc étincelant devait sans nul doute coûter une véritable fortune. Cela représentait pour sûr une belle montagne d'alcool et de filles de joie. Une autre raison était que le fait de s'attaquer à un noble entraînerait sans doute des conséquences fâcheuses si cela se savait. Néanmoins, dans un lieu si reculé et mal famé, uniquement fréquenté par des roturiers aux mœurs plus qu'étranges, qui irait rapporter pareille félonie? Personne sans doute. Se contentant de partager le butin entre eux. Neuro ne prêtait guère attention aux regards de convoitise posés sur lui, il en avait l'habitude. Il se contentait de les ignorer. Car au fond de lui, il savait la triste vérité. La beauté était une qualité, mais le fait d'en être doté s’avérait une croix lourde à porter. Tous ces regards obnubilés de désirs, ces visages comme hypnotisés, laissant échapper des filets de baves et un air niais... Dégoûtant. Malgré sa légendaire mégalomanie, le noble n'aimait pas ce genre de manquement au principe de l'élégance.

Le laguz affable, ou pas, rajouta qu'il n'appréciait pas les humains. Enfin, pas suffisamment pour les aider dans une quelconque affaire. Même une récompense pécuniaire ni changerait donne. Peut être avait-il de mauvais souvenirs en rapport avec eux, ou peut être n'avait cure des vulgaires affaires de cette espèce malodorante à ses yeux. Qui sait?

Neuro affichait toujours un air assez sérieux en écoutant l'étrange homme-chat, qui n'était pas très ronron, comme on dit. Mais avait tout de même un semblant de savoir vivre, ce qui était tout à son honneur. Les autres clients regardaient discrètement les deux hurluberlus, se demandant de quoi ils parlaient. Tentant d'épier la conversation. Surtout intrigués par la présence du noble très certainement. Ou bien alors en train de préparer un mauvais tour au visiteur qui n'allait pas très bien avec le décor.

 Continuant sa réponse, le félin se leva, rétorquant que tout ce qu'il était disposé à faire pour aider serait d'aller chercher le tavernier bourru. Peut être que la camaraderie entre humain pousserait ce dernier à parler, voir contre toute attente, participer activement lui-même à porter secours à une demoiselle en détresse. Que voulez-vous, même un ancien aventurier à la retraite ne peut résister à l'appel de l'aventure, impliquant de porter secours à une jouvencelle qui plus est. Le laguz n'était peut être pas si méchant envers les humains après tout. Même s'il se dédouanait de leurs histoires, c'était son droit après tout. Enfin, cela dépend de comment on interprétait ce petit sourire narquois qu'il afficha tout en se retournant afin de prendre la direction des cuisines où son compère devait être.

Neuro lui avait fait un signe de tête de remerciement, avant qu'il ne lui tourne le dos et ne disparaisse dans l'antre de la bête. En attendant, le noble réfléchit en fixant la choppe de bière toujours intacte lui faisant face. Fallait-il faire confiance à ce laguz félin. N'était-il pas en réalité un vil chenapan? Comme le disait le proverbe, << Du moment que ça à des oreilles pelucheuses ressemblant à celle d'un renard, la malice n'est jamais bien loin. >>.  Neuro n'était pas vraiment innocent lui-même à ce genre de comportement. Son histoire de quête de demoiselle en détresse était loin d'être ce qu'elle paraissait quand on savait toute l'histoire. Il était resté discret sur certains détails pour plusieurs raisons. Entre outre, pour éviter que quelqu'un ne le prenne pour un fou échappé des cachots d'un alchimiste s’essayant aux potions de démence.

Il ne fut pas longtemps pour que l'homme-chat réapparaisse, toutes griffes dehors, prêt à bondir sur un bon gros rat. Se dirigeant à la hâte vers le Neuro, il agrippa celui-ci au col, de manière désinvolte. Neuro ne broncha pas plus que cela, affichant toujours un air assez sérieux, mais trahissant sa surprise quand au comportement grossier de l'individu qui osait porter la main sur un noble. On remarquait immédiatement au ton de sa voix, que quelque chose n'allait pas.

Lui demandant une fois de plus la raison de sa présence et évoquant un rituel de sang. Neuro regarda dans les yeux son interlocuteur un instant. De quoi diable ce sacripant l'accusait-il? Neuro, d'un geste calme et assuré, du revers de sa main, enleva les pattes qui venaient incommoder son manteau.

" Que sous-entendez vous? Vous êtes d'une incorrection, j'en ai failli avoir le souffle coupé. " Arrangeant son col tout en affichant un air outré.

Neuro n'aimait pas les familiarités. D'une, le tutoiement. De deux, l’agression physique. Mais il en fallait plus pour venir perturber sa patience, qui pourtant était jugée comme inexistante. La curiosité prenait le dessus. Quelle était la raison derrière les paroles provocantes du laguz?

" Comme je vous l'ai expliqué, je recherche de simples informations sur une personne. "

Neuro continua toujours en fixant le malotru dans les yeux.


"Quant aux restes de vos propos, je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous sous-entendez. M'accusez vous de quelque chose? " Outré par les propos suspicieux dont il était la cible, le noble prit la direction des cuisines, ne voulant pas perdre plus de son temps en ces lieux. " Je vais chercher le tavernier moi-même. " Ne se préoccupant plus vraiment du laguz et de sa réponse pour le coup.

Pressant le pas en direction de la scène de crime, ne soupçonnant pas le moins du monde ce qui s'était déroulé, Neuro put rapidement découvrir la vérité. Il vit le tavernier gisant dans son sang, le cœur transpercé par un poignard. Il regarda l'homme sans vie avec intrigue. Réfléchissant à ce qui venait de se passer.

"Voilà qui est... Intéressant."

Le spectacle était pour sûr assez déstabilisant. Le pauvre tavernier avait un regard vitreux et morne, comme celui d'un poisson plus très frais. Le coupable le plus logique aurait été l'homme félin, qui venait de revenir des cuisines, mais son comportement aurait été tout autre. 

C'est ainsi que les mystères au Pingouin Soiffard débutèrent...

Neuro se retourna vers le laguz. Qui l'avait sans doute suivit afin de s'assurer qu'il n’essaye pas lui fausser compagnie.


" Je comprends mieux vos paroles de tantôt. Mais sachez que ma présence ici n'a rien à voir avec ce qui s'est passé en cuisine. Je suppose que vous n'y êtes pas non plus pour quelque chose vu votre comportement. " Affichant un air sérieux.

Il poursuivit, malgré le manque de confiance envers le félidé. " Je vous propose un marché, je vous aide à élucider le mystère et à retrouver le responsable. En contrepartie, vous m'aidez à retrouver la demoiselle en détresse. Qu'en dites vous? "