Que de bouleversements! Elles qui n’ont jamais eu l’occasion de sortir de Viralys durant toute leur courte vie, les jumelles ne peuvent pas dire qu’elles s’attendaient à voyager autant. Enfin, elles savaient très bien qu’elles risquaient d’être sur la route pour longtemps. Leur plan initial était simplement de traverser Valm et de s’installer chez le premier noble qui les accepterait. Mais la mauvaise chose avec les plans, c’est qu’ils ne se déroulent jamais comme on le désire. Leur voyage leur a fait vivre un lot de souffrance et de tourment qui ont bien failli les briser plus d’une fois. Manipulation, traîtrise, torture… On ne peut vraiment envier leur sort. Mais, elles ont tenu le coup. Plus d’une fois, elles ont survécu. En s’épaulant l’une à l’autre et grâce aux bonnes âmes qu’elles ont rencontrées, Rom et Ram ont tenu le coup. Et finalement, leurs efforts sont enfin récompensés. Suite à de longues semaines d’entraînement sous la tutelle de Taurok, les deux sœurs ont été confiées aux bons soins de nul autre que l’héritier au trône d’Ylisse, celui choisi par Falchion, à défaut d’avoir été rejeté par son peuple. Les jumelles n’ont que très peu parlé à l’homme avant d’être escortées par transport directement à la sainte capitale.

Hormis l’ennui du long voyage, le tout se fit sans encombre. Le convoi dans lequel elles voyageaient arriva à bon port sans une seule attaque de bandits et le voyage vers l’autre continent fut plutôt calme. L’horizon bleu ne s’agita pas une seule fois, berçant la grande embarcation comme une mère bordant son enfant. Pour la première fois depuis des années, les jumelles se sentaient en sécurité, comme si l’ombre qui planait au-dessus d’elles s’est finalement volatilisée. Rom dormait paisiblement, Ram recommençait à manger convenablement et elles commençaient à reprendre des forces, mais également le moral. Tout ça commençait finalement à ressembler à la nouvelle vie dont elles rêvaient tant. Du moins, jusqu’à ce que leur garde se fait relayer par celle de Ylisse. On ne les regardait plus et lorsqu’on le faisait, on pouvait y discerner de la haine, parfois même de la peur. Curieux, mais pas de quoi s’affoler pour les jumelles. Probablement des soldats furieux de devoir servir d’escorte à deux personnes du peuple.


Il n’y a pas à dire, Ylisse est véritablement une nation magnifique. Les jumelles ont grandi à Viralys, une grande ville avec des maisons à perte de vue et un port. Elles ont passé du temps à Valm, une nation qu’on ne pourrait exactement décrire comme étant ‘’belle’’. Mais ici, la nature s’étire sur des kilomètres. Après être débarquées, elles ont longé la côte durant un bon nombre d’heures, le silence brisé uniquement par les tranquilles sabots des chevaux, le délicat roulement des vagues azure sur la berge et le bruissement des feuilles verdoyantes de la mer d’émeraude avoisinante. Rien à voir avec la cacophonie habituelle de Viralys ou l'inquiétante atmosphère de Valm. Lorsque la nuit tombe, le convoi arrête et un campement de fortune est monté. Tout le monde dort à la belle étoile, les hommes au sol et les jumelles dans la charrette. Malgré le bois dur, les jumelles n’ont jamais eu de difficulté à dormir. La lune argentée est bien haute dans le ciel, comme une lueur d’espoir, tirant les jumelles dans un profond sommeil, la main de l’une contre celle de l’autre. Le jour revenu, on reprend le chemin. Vers midi, le convoi prend une route qui mène vers la forêt. Pendant la traversée entre les arbres, il n’est pas difficile de voir que leur escorte est encore plus sur leur garde. À croire que même une nation comme Ylisse n’est pas à l’abri de la cupidité des bandits de grands chemins. Comme quoi la perfection n’existe nulle part. L’air du début de l'automne est frais et agréable, ce qui rend ce petit voyage d’autant plus plaisant. La forêt finit par s’ouvrir pour dévoiler un petit village forestier. Les habitants accueillent les soldats et les maids, leur proposant un toit pour la nuit. On leur offre également nourriture et boisson. Les maids ne disent pas grand-chose, mais on les regarde toujours avec bonne humeur, tendresse. Des gens du peuple, des gens heureux. Ils discutent avec les soldats et plus le temps avance, plus les regards changent. Haine, peur… Comme les soldats. Quelque chose ne va pas. L’inquiétude revient et les jumelles n’arrivent plus à dormir. Le lendemain, la route reprend. On dit qu’on devrait apercevoir Ylisstol d’ici une heure ou deux. Au loin, les jumelles finissent par apercevoir la capitale du saint royaume se dessiner sur l’horizon. Le capitaine sonne l’arrêt quelques heures plus tard. Une dernière nuit de repos pour pouvoir arriver en forme demain midi. Le coeur des jumelles bat à tout rompre. Plus elles s’approchent et plus elles se questionnent. Peuvent-elles vraiment trouver la vie qu’elles recherchent à Ylisse? L’attitude qu’on leur offre dit que non.

Ylisstol, une grande ville qui ressemble beaucoup à Viralys sur certains points. Entre autres, la cacophonie des passants et la beauté des bâtiments. Bien entendu, on parle en terme général, l’architecture reste bien différente de ce qu’elles ont vu ailleurs. Mais un air de familiarité se dégage de cette ville. Le grand château reste beaucoup plus impressionnant que tout ce qu’elles ont vu jusqu’à maintenant. Une certaine noblesse et beauté s’en dégage. Dès qu’elles mettent le pied dans le grand hall principal, on leur dit d’attendre qu’on vienne les chercher. Elles hochent la tête et attendent. Et elles attendent. Encore. Et encore. Plusieurs heures se sont écoulées et personne ne venait à leur rencontre. ‘’Sir Ayden n’est pas présent’’, ‘’L’exalt n’a pas de temps à perdre avec des gens comme vous’’, ‘’Le maître valet est trop occupé pour vous voir, il va vous envoyer quelqu’un.’’ Des excuses, des justifications, parfois mêlées avec des ‘’assassines’’ ou ‘’chiennes de Valm’’. Ah, il semblerait que les détails de leur vie passée se soient glissés aux oreilles de bien des personnes en très peu de temps. Voilà qui explique les regards qu’on leur lançait. Ram soupira.

Ram? Demanda Rom.

Il semblerait que le destin ne compte pas rendre les choses plus faciles pour nous. Finit-elle par dire.

Rom hocha la tête. Ils sont probablement en train de déléguer la responsabilité de nous accueillir entre eux. Tu crois que quelqu’un va finir par venir?

Qui sait. Peut-être que nous devrons rester ici, debout, toute la nuit. Peut-être même dormir comme ça, droit comme des piquets.

Dans ton cas, il ne s'agirait pas la première fois.

Voilà qui est cruelle, ma sœur.

Mais vrai.

Mais vrai.

Elles attendent, regardant tous les passants, attendant celle qui viendrait enfin pour elles.