Je me suis toujours considéré comme une personne aimable et chaleureuse. Toutefois, de par les expériences amères que j’ai vécues ces derniers temps, j’ai constaté un assombrissement de cette humeur d’ordinaire joviale. Qu’on ne se méprenne pas, je n’ai absolument rien d’une personne morne qui se berce dans sa mélancolie. Je tâcherai toujours de faire bonne figure, et resterai serviable et poli. Je m'astreins en général au calme car je ne sais trop bien, en raison de mon passé, les extrêmes que l'on peut atteindre lorsque l'on est poussé dans ses retranchements. Je fais donc de mon mieux pour dominer les émotions négatives qui pourraient tenter de me submerger. Je me vois comme un compagnon de voyage agréable dans la mesure où je fais toujours de mon mieux pour détendre l’atmosphère.
Il paraît que les habitants du désert sont vus comme étant durs et généreux. Si ce premier trait de caractère ne me correspond pas vraiment, le deuxième me convient plus. Cela n'a pas toujours été le cas, mais j'ai décidé que j'allais désormais faire de mon devoir d'aider autrui, dans la mesure du possible.
J'ignore si je dois cette autre facette de ma personnalité à l'immensité dans laquelle j'ai grandi, mais je me suis très tôt découvert un esprit ouvert. La curiosité et l'envie d'apprendre sont deux choses qui ne me quittent jamais. Le fait que je me destine désormais à voyager ne va sans doute qu'aiguiser ce trait de caractère.

Je n'ai jamais eu à me plaindre de ma vie dans le désert. Les difficultés sont toujours plus faciles à surmonter lorsque l'on est accompagné. Or, c'était mon cas. Nous vivions près d'une oasis, ma famille et moi, ainsi que quelques proches. Nous profitions des bienfaits qui nous avaient été octroyés, et faisions face du mieux que nous pouvions aux heures dures que nous devions traverser.
J'ai grandi entouré de personnes qui m'étaient chères. Même si les privations et les pénuries n'étaient pas rares, je ne doutais jamais de la chance que j'avais de vivre auprès des êtres auxquels je tenais . Il s'agissait d'un luxe que beaucoup ne pouvaient pas s'offrir, et j'en appréciais les bienfaits chacun des jours qu'il m'était donné de vivre. Malgré les conditions de vie rudes du désert, je grandis donc heureux et entouré. Les tempêtes de sable, la chaleur, la soif et toutes les autres plaies inhérentes à la vie dans le désert ne suffirent jamais à me faire souhaiter de quitter les terres arides qui m'avaient vu naître.
Je m'habituais donc progressivement à mon environnement, et apprenais chaque jour comment faire face aux aléas de la vie. S'il faut admettre que toutes ces expériences furent loin d'être de tout repos, elles m'ont toutefois permis de me confronter très tôt aux réalités du monde réel. Tout ceci me paraissait supportable, il s'agissait seulement de mon quotidien, d'aspects avec lesquels je devais compter. Certains apprennent à chasser, à élever des moutons, à lire, d'autres apprennent à vivre dans le désert.

Les landes arides renferment cependant de nombreux dangers. En dehors des bêtes venimeuses qui fourmillent sous les dunes ardentes ou qui se cachent sous les rochers brûlants, le désert est peuplé par d'autre êtres tout autant, voire plus dangereux ; les humains. Si le venin n'est pas notre arme de prédilection, l'avidité, l'ignorance et la violence sont autant de poisons qui coulent dans nos veines et dont la létalité n'a rien à envier à celle de la morsure du cobra. Certains apprennent à les dominer, d'autres se laissent manipuler par elles.

Le désert a ceci de particulier qu'il révèle la véritable personnalité des personnes qui le foulent. Les difficultés font bien souvent voler en éclats l'image que l'on se renvoyait de nous-même. Tout le monde n'est pas à la hauteur du soleil ardent qui nous accable de sa chaleur.

Il m'a été difficile de me l'avouer, mais il se trouve que j'ai été une de ces personnes.

Ce passé trouble, je n'aime pas à me le rappeler. Tout me semblait si normal, à l'époque où j'avais rejoint ce groupe de forbans. Malgré toute ma bonne volonté, le dénuement et les privations avaient eu raison de mon esprit et des espoirs que mes parents avaient nourris pour moi. Je n'étais finalement pas si différent des autres. J'avais atteint la limite de ce que j'avais pu supporter. Alors que je pillais et détroussais, je me répétais à moi-même que je faisais que prendre ce qui ne m'avait jamais été donné, qu'il s'agissait là de mon dû.

Je ne sus jamais quel fut le déclic qui me rappela à la réalité. Peut-être avais-je un bon fond ? Peut-être n'étais-je pas si mauvais que cela ? Toujours est-il qu'après un certain temps, je décidais de mettre un terme à cette vie qui me répugnait et de reprendre les rennes de mon destin.

Si j'avais été capable un temps de me mesurer aux défis qu'il m'avait imposé quotidiennement, les souvenirs des actions que j'avais commises qu'il aimait à me rappeler étaient autant d'horreurs que je souhaitais fuir. Le murmure du vent sur les dunes semblait m'accuser continuellement. Évoquer les souvenirs que j'avais de ces landes brûlantes me laissaient désormais un goût amer. Accablé par la honte et le remords, je décidai de quitter le désert. J'avais besoin de me racheter, je ne pouvais continuer à me laisser aller ainsi dans le mal et la violence. L'heure était au changement.