La nuit fut courte pour ne pas dire quasi inexistante. La jeune femme n'avait pas fermée l'oeil depuis plus de vingt quatre heures pendant la construction du petit camp aux abords de la Capitale Ylissoise. Son corps lui envoyait plusieurs signaux comme quoi il fallait dormir, mais il lui restait encore deux trois tâches à accomplir. L'une d'entre elle était sa rencontre avec son nouveau Lieutenant, celui qui mènerai la majorité de l'infanterie du fort d'Helsgart dépêchée en Ylisse. Un homme qu'elle avait remarquée au cours de la bataille dont l'échos de ses prouesses avait retentis dans tout le campement.

Il faisait encore nuit malgré les quelques éclaircis provoquées par le levé du soleil en approche. Coralie regarda son reflet dans l'eau du tonneau qu'elle utilisais pour se rafraîchir le visage et se maintenir éveillée. Ses yeux étaient bordés de lourds cernes implorants le sommeil, ses cheveux étaient en batailles et commençaient à sérieusement salir, portant toujours son armure. Cette dernière encore salie par les affrontements, une marques ou deux de griffures trainaient sur la cuirasse, et son tabard blanc et rouge était lui, teinté du sang pourpre d'un défunt allié.

Les morts et les blessés n'étaient pas nombreux, cette pensée se voulait rassurante et encourageante pour Coralie qui sortie de sa tente une fois l'aube bien établie pour se rendre à la table stratégique. Elle y serait seule et ce n'est pas sans soulagement qu'elle s'assit sur une chaise en attendant son nouveau sous-officier.

Pour patienter elle prit un parchemin qui trainait sur la table, c'était le rapport des ressources nécessaires aux réparations de la ville. Des hommes prêtaient déjà main forte au peuple Ylissois dans la forêt environnante pour abattre quelques grand arbres qui serviraient à réparer les toitures défoncées ou embrasées. Se levant, elle fouilla dans une caisse par curiosité, ne trouvant que quelques perds de gants en cuir ainsi qu'un heaume fissuré qu'elle tenait encore au moment ou un homme entra dans la tente.

C'était un de ses hommes, taille moyenne, entretient global suffisant mais pas pour Coralie. La chose qui sauta immédiatement aux yeux de la capitaine fut le manque de finesse transpirant du guerrier. Elle ne se leurrait pas, mais Coralie savait que c'était lui qu'elle attendait.
Son visage... elle ne savait pas si elle le connaissait ou non. Peut être faisait il partie des hommes commandés par Hultiss ou bien quelqu'un d'autre non présent avant-hier. L'empereur avait emporté les sabot d'argents et quelques soldats depuis la capitale, les choses avaient été faites un peu à la va vite il faut le dire, mais quand on voyait l'urgence de la situation, une minute perdue correspondait probablement à plusieurs centaines de vies. Si l'Empereur avait ignoré ses soupçons, Ylisstol serait tombée lors de cette tragique nuit.

L'homme salua et se présenta non sans.. non sans une fin de phrase un peu tordue. Coralie ne dit mot. Posant le heaume endommagé sur la table stratégique, elle avança vers Aaron, mains dans le dos tout en essayant de dissimuler sa fatigue.
Arrêtée à un bon pied du soldat, elle le regarda de haut en bas.

-"On m'a parlée de vous Lieutenant. Comme les choses ont été décidée ainsi, je serais votre Capitaine et comme vous êtes mon lieutenant, vous pourrez m'appeler ainsi ou Coralie."

La jeune femme fit un effort mental pour dissimuler sa légère maniaquerie et amour de l'ordre en se disant que ce manque de présentation chez cet homme en tout point hirsute à son goût, ne devait pas freiner sa joie de voir un guerrier talentueux et méritant rejoindre ses rangs.

La jeune femme tandis une main vers son nouveau Lieutenant. Elle n'était pas mécontente, mais son visage se força tout de même à sourire plus qu'elle ne le souhaitait.

-"Enchantée de faire votre connaissance Aaron. Quand nous aurons terminés, vous pourrez aller à la rencontre d'Horas, il vous remettra le tabard de l'unité en plus de l'insigne correspondant au titre de Lieutenant."

Coralie fit quelques pas dans le sens d'Aaron en l'invitant à la suivre. Lui tirant une chaise au passage, elle alla s'asseoir de l'autre côté de la table.

-"Avant que je ne me lance dans des explications spécifiques à notre unité, parlez moi de vous. Qui êtes vous ? de quel unité venez vous ? J'aimerai savoir quel homme est mon nouveau camarade. Vos hommes aussi aimerons le savoir. J'attends de notre collaboration une symbiose parfaite. Je vais être franche, la personne qui était à votre place était un incapable parvenu ici je ne sais comment. Il aurait pu coûter la vie à nombre de nos hommes avant-hier mais la chance fut avec nous. Je lis dans vos yeux des qualités qui me plaise Aaron. "

Coralie s'accouda contre le bord de la table après un petit baillement discret puis après avoir rabattus l'une de ses mèches, fixa Aaron dans l'attente de son expression.

Alors qu'il s'approchait de la tente de commandement, Aaron s'était bien évidemment passé en revue plusieurs capitaines susceptibles de l'avoir convoqué, même si parmi ceux qui lui étaient venus à l'esprit la plupart n'avaient au final même pas fait le voyage jusqu'à Ylisse. Cependant, Coralie, cavalière pégase commandant les sabots d'argent, ne faisait certainement pas partie de ce qu'il s'était imaginé. Bien sûr il la connaissait, tout du moins de réputation, noble de haute lignée à la tête d'une des unités de femmelettes les plus emblématiques de l'armée de Valm... Elle représentait presque à elle seule tout ce qui pouvait le dégoûter chez un officier, et il ne serait pas surpris s'il apprenait que lui représentait presque tout ce qui pouvait la dégoûter chez un subalterne.... Néanmoins elle avait semblé faire peu cas de son extinction de voix, sans doute à cause de cette fatigue que l'on pouvait clairement lire sur son visage... et qui était peut-être la seule chose qui rassurait un peu Aaron quand à sa potentielle future affectation. Au moins elle ne chômait pas et était prête à faire sa part du travail. Il s'efforçait de trouver le côté positif de la situation pour ne pas présenter à celle qui serait peut-être sa supérieure pendant un certain temps, une mine inadéquate.

Comme cela était prévisible, elle lui demanda de se présenter, lui et son parcours, en guise de préambule à cet entretien. L'espace d'un instant il hésita à la dégoûter d'entrée de jeu pour écourter au plus vite ce supplice que risquait d'être les mois sous son commandement, mais il n'en fit rien. Après tout on pouvait très bien décider de lui retirer sa promotion à peine acquise... peut-être même qu'il lui la devait à elle]. Cette idée lui fit froid dans le dos mais il préféra se concentrer sur sa réponse. Prenant place en face d'elle en s'affalant sur sa chaise d'une posture sans doute bien indigne de la noblesse, mais totalement innocente à ses yeux, il entreprit de donner à cette Coralie les réponses quelle demandait.


"Et bien, mon capitaine, pour commencer je suis au service de l'Empire depuis une vingtaine d'année maintenant et, pendant tout ce temps, j'ai eu pas mal d'affectations différentes. J'ai servi dans l'infanterie Impériale de presque toutes nos régions et j'ai même fait un bref passage dans la section logistique et génie... sans toute les pires mois de ma carrière cela dit.. Jusqu'à hier j'étais encore affecté à la garnison de notre capitale, normalement ça aurait dû durer le temps que je me remette pleinement d'une blessure mais il faut croire que je me suis rétabli plus vite que prévu. Il faut dire qu'on ne me tue pas très facilement, pourtant j'ai arrêté de compter le nombre de malheureux qui s'y sont essayés."


Il avait prit un coup de hache dans l'épaule gauche qui lui aurait sans doute coupé le bras sans l'armure qu'il portait. Au final il lui avait fallu rester deux semaines à l'infirmerie puis passer les trois derniers mois en garnison le temps de récupérer pleinement l'usage de son bras. Aujourd'hui, même si ses muscles le tiraient encore parfois, cela ne dénotait pas des autres séquelles qu'il pouvait garder de ses nombreuses blessures.
Tandis qu'il reprenait son souffle, il essaya de se rappeler ce qu'elle lui avait dit après ses questions, elle avait parlé de qualités qui lui plaisait mais il avait du mal à imaginer ce qu'elle avait pu voir dans son regard... c'était sans doute simplement une formule de "politesse" et elle n'avait rien vu du tout, elle était sans doute trop fatiguée pour remarquer autre chose que l'envie qu'elle devait avoir de se plonger dans son lit douillet aux draps de satin. Quel dommage pour elle qu'ils n'aient pas embarqué sa suite royale dans leurs navires militaires...

Lorsque l'homme parla, la capitaine se mit à sourire, plus mentalement que physiquement. Le parcours de son nouvel officier n'était pas des plus stratégiquement brillant mais pour ce qu'elle prévoyait il paraissait parfait. Certes son prédécesseurs sortait d'une école militaire, il était incollable sur la stratégie, la logistique de grande envergure et le management. Mais il lui manquait l'empathie, l'écoute, le charisme et l'expérience, cela faisait beaucoup. En regardant bien Aaron elle n'était pas sûre non plus qu'il soit plus empathique que ça, mais cet homme représentait beaucoup de choses appréciées par les combattants Valmiens. La force, la loyauté et l'expérience, c'était un vétéran, un homme du peuple qui avait su guider sa vie et sa survie au sein d'une longue et difficile vie dans l'armée.

-"Votre parcours est appréciable Lieutenant. J'ai besoin d'un homme comme vous, un homme qui a connu le terrain, qui l'a dans le sang. Je veux une personne avec la tête sur les épaules qui n'ira pas faire tuer ses hommes pour entrer dans un livre d'histoire.

Sur ses mots, Coralie se leva doucement en allant fouiller rapidement dans un tas d'affaire qu'elle n'avait pas eu le temps de remballer.
Au bout de quelques secondes elle se rappela avoir déjà donnée ses instructions au Lieutenant, il devait aller voir Horas pour ses galons et le reste... le précédent officier étant partis sans rendre les siens.

Le plus doucement possible, la guerrière se rassie sur son siège, croisant les bras et avançant légèrement le torse en avant. La pauvre était complètement dans le gaz et elle avait un mal fou à le cacher. Son dos lui tiraillait les os et la chevauchée effrenée à dos de pégase n'avait rien arrangée. Étrangement, un mauvais coup rebondissant sur son plastron l'avait soulagée après la bataille mais cette douleur était revenue au galop. Quel état pitoyable pour faire connaissance.
Sans faire exprès elle renversa un encrier à moitié plein sur un parchemin vierge.

-"Excusez ma maladresse Lieutenant."

Essuyant vainement la tâche se rependant sur le bois et le papier, Coralie éclaircie sa voix avant de reprendre de plus belle.

-"Je suis désolée de ne pas pouvoir vous accueillir dans de meilleur conditions. Je vous invite à me faire part de votre avis. Êtes vous satisfaits de cette promotion ? Pensez vous la mériter et même plus, pensez vous être à la hauteur ? N'ayez pas peur d'être sincère. Si nous devons servir ensemble, j'aimerais savoir à qui j'ai à faire."

La jeune femme était réellement curieuse, l'avis de ses hommes comptaient, bien sûr elle n'en tenait pas toujours rigueur mais... un homme sous ses ordres se sentant incapable de servir ou étant un trop grand fauteur de troubles, non ça, c'était une chose intolérable à ses yeux et il valait mieux qu'une collaboration ne démarre jamais si il en était ainsi. Au fond d'elle, elle n'y croyait pas, Aaron avait tout des soldats puissants et increvables qui faisait de Valm une nation forte.

Quel triste spectacle... alors c'était ça la fougueuse capitaine des Sabots d'Argent ? Il avait presque pitié d'elle... quelle ironie. Bien sûr il connaissait les effets de la fatigue et évidemment il lui était arrivé de n'en mener guère plus large qu'elle... mais sa mauvaise foi se moquait bien de ça en cet instant présent. C'était elle la noble et illustre combattante louée par les plus hautes autorités de l'Empire, pas lui. S'en était presque trop beau de voir une femme d'une telle lignée se répandre en excuses devant lui. Un sourire malsain illumina son visage une fraction de seconde tandis qu'elle essayait vainement d'épancher l'encre qu'elle venait de renverser sur la table. Il n'esquissa pas un mouvement pour l'aider. Pas, comme on aurait pu le croire de prime abord, de peur de rappeler son incapacité à se débrouiller seul à un officier supérieur, mais bien parce qu'il trouvait très plaisant de la voir s'épuiser d'avantage à réparer ses propres bêtises. Après avoir limité les dégâts, et abandonné l'idée d'en faire plus, sa supérieure riva de nouveau son regard sur lui et l'interrogea sur son opinion par rapport à sa récente promotion.


"À vrai dire, Madame, cela fait un moment que j'attends cette promotion. J'avoue ne pas être certain de bien comprendre pourquoi elle survient maintenant mais cela n'a que peu d'importance. L'essentiel c'est que je suis ici, aujourd'hui, et que je compte bien prouver à l'Empire que ces galons sont mérités et que vous avez fait le bon choix."


Il avait abandonné ce "mon Capitaine", qu'il n'arrivait pas à trouver adapté à la situation en faveur d'un "Madame" qui, tout aussi respectueux à l'oreille de son interlocutrice, avait une saveur totalement différente dans sa bouche. Aucun titre ne pouvait être plus adapté à cette femme qu'un simple rappel de ce qu'elle était vraiment : une dame de la noblesse fragile et visiblement peu préparée aux rigueurs d'une campagne militaire.


"Je souhaiterai ajouter une chose, Madame, même si ça ne va pas améliorer l'image que vous avez de moi mais je suis d'accord avec vous sur un point, comme nous allons travailler ensemble vous faites aussi bien de connaître votre nouveau second. Je n'ai pas eu, comme vous, la chance de recevoir ce que vous appelez une "bonne éducation", avant de rentrer dans l'armée je ne savais ni lire, ni écrire, ni compter et même aujourd'hui cela ne sont pas mes plus grands atouts. Pareil, mon parlé ne va pas toujours plaire à vos oreilles délicates et je m'en excuse d'avance."


Il s'était laissé emporter et ses mots avait quelques peu dépassé sa pensée. ce "délicates" n'était pas vraiment prévu au programme et elle risquait de le lui faire regretter... Enfin, il pouvait toujours espérer qu'elle soit trop fatiguée pour le relever maintenant ou en tenir vraiment compte. Et puis, il n'y a que la vérité qui blesse dit-on. . .