Tout n'a été que chamboulements pour Ayden. D'abord, il a perdu sa mère très jeune et n'a été élevé que partiellement par "son père", pour qu'un jour au final...On lui annonce que son véritable géniteur n'était en fait que le monarque d'une grande nation qui lui était encore inconnue. Un Prince ylissien, l'héritier que tout le monde attendait depuis des années se tarissait en fait à Regna Ferox. Du jour au lendemain, on a posé sur ce garçon de lourdes responsabilités dont il a dû faire face, ou au moins, commencer. L'Exalt avait déjà accepté l'idée d'être père, bien qu'il n'ait jamais pu voir sa progéniture devenir un homme. Tout ce qu'il pouvait faire à présent était de l'aider à s'insérer dans cette société hostile qu'est la royauté, car être un enfant à la limite de l'illégitime n'ayant en plus de cela aucune éducation sophistiquée était véritablement mal vu dans la société ylissienne. Bien que récemment reconnu officiellement comme le Prince héritier à la succession du trône, des gens crièrent encore au scandale et avaient du mal à se faire à l'idée. Et même si le peuple connaissait le visage du nouveau membre de la famille royale, il avait l'impression que mille regards le scrutaient lorsqu'il errait dans les rues d'Ylisstol. Alors le fils de Naga prenait sur lui, attirer son attention n'avait jamais été son fort mais puisqu'il n'avait plus le choix...Qu'il en soit ainsi.

Enfin depuis qu'il vit ici, Ayden sortait régulièrement pour se familiariser avec cette nouvelle ambiance plus pacifique, cette nouvelle température qui lui paraissait trop chaude par rapport à ce qu'il avait connu au royaume du nord, ses rues, ses commerces, en essayant d'ailleurs de repérer de lui même les bonnes adresses. Une boutique d'apothicaire lui avait déjà tapé dans l'oeil la dernière fois, que le nobliau n'avait encore jamais visitée et il comptait bien le faire, à condition de se souvenir du chemin. Heureusement, ce dernier avait eu l'idée de se faire des points de repaires afin de ne pas se perdre et ça avait l'air de marcher puisque Ayden a pu finalement la retrouver assez facilement.

Avant d'y pénétrer, il observa brièvement la vitrine et remarqua que la boutique était vide de monde. Le magnifique temps à l'extérieur y était peut-être pour quelque chose qui sait ? Il franchisa la porte et dès cet instant une petite sonnette retentissait, annonçant la venue d'un client. Sa venue donc. Droit devant lui en levant le nez, ses yeux saphirs aperçurent une jeune demoiselle au comptoir qui devait probablement être la propriétaire ou en tout cas, travaillait ici. Par réflexe, le feroxien de naissance lui adressa poliment un bonjour en se dirigeant ensuite vers les étagères de gauche sans vraiment savoir ce qu'il cherchait réellement puisque celui-ci n'avait pas d'idée précise en tête. Mais en voyant tout ces livres en rapport avec la médecine, il avait bien envie d'en acheter un pour son cher petit frère érudit, bien que ce sont plus les bouquins de magie ou sur les épopées qu'il chérit en ce moment. Ou alors pour sa soeur adoptive Oriana, soigneuse de son état, lorsqu'il la reverra. Voire acheter quelque chose pour les deux.

Comment faire quand on ne s'y connait pas ? Ayden pouvait demander conseil à la spécialiste ici présente ! Mais non, têtu, il préférait chercher de lui-même.

Décidément, le choix était rudement difficile ! La médecine était un domaine qui le dépassait complètement, mais il compensait largement sur celui du champ de bataille. Enfin, il existe des exceptions et Emilien en était la preuve; ce petit pouvait tout aussi bien faire office de mage, de guerrier et en connaitre quelque peu sur les soins. Ayden en n'était pas totalement sûr, toutefois, cela ne l'étonnerait même pas si c'était le cas. Au moins, celui-ci était persuadé d'une chose : son frère arrivera à se faire un nom, il en était convaincu. Mais pour l'instant...Hé bien le prince était perdu. Il soupira, hésitant même à sortir de la boutique et à revenir une autre fois avec une idée bien précise en tête. Ayden reposa donc le bouquin qu'il avait dans les mains et le remit à sa place. C'est là , que la supposée propriétaire s'avança vers lui en offrant gentiment son aide et il leva ses yeux bleutés vers sa direction. Aaah ! Elle a dû sentir sa détresse ! Même si le lord avait du mal à l’admettre lui qui est très débrouillard d'habitude, cela ne serait pas de refus.

- « Hé bien...Je ne sais pas trop. Disons que je pensais prendre quelque chose sur les rudiments de la médecine pour mon frère cader par exemple, ou peut-être pour moi-même si jamais. Qu'auriez-vous à me conseiller ? »

Elle avait bien reçu le message, et s'est mise la seconde d'après à prendre et feuilleter quelques livres. Ayden l'observait faire attentivement, surtout qu'il n'en avait jamais autant vu d'un seul coup, à l’exception de la grande bibliothèque royale où il avait déjà mit les pieds afin d'en apprendre d'avantage sur l'histoire ylissienne et ses aïeuls qui l'ont précédé. Autant dire que le prince en avait encore beaucoup à apprendre. En parlant d'apprendre, la commençante avait fini par lui proposer quelque chose sur des préparations curatives simples à préparer, ou soigner des blessures superficielles. En y repensant, lui et ses compagnons avaient tendance à avoir leurs corps meurtris durant un combat d'affreuses coupures, qui laissaient parfois de belles cicatrices à vie. Connaitre une chose ou deux pour les limiter ne pourrait être qu'un atout; son client allait donc suivre ce qu'on lui conseillait.

- « Je pense que je vais déjà vous prendre ces deux-là » Disait-il en lui prenant délicatement ce qu'elle avait dans les mains. « J'ai le sentiment que je peux vous faire confiance à point fermer car après tout, quelqu'un qui s'y connait autant ne peut pas se tromper en mon sens. »

Le jeune prince lui souriait chaleureusement pour accentuer son propos.  La personne en face de lui n'avait pas l'air d'en faire trop en sa présence et ça le mettait beaucoup plus à l'aise, d'autant plus qu'elle lui paraissait charmante. Il faut dire qu'Ayden a grandi comme un enfant des campagnes puis un jour, on s'est mit à lui donner des titres qui pour lui sont trop superficiels à son goût. Non, il préférait encore qu'on le mette sur le même pied d'estale que tout le monde, ni plus ni moins. Le problème étant que cela soit plus difficile à dire qu'à faire pour la simple et bonne raison que la noblesse a une place importante dans les coutumes ylissiennes, surtout si vous faites partie de l'honorable Sainte-Lignée respectée de tous.

D'un autre côté, il ne pouvait pas s'empêcher de repenser à son demi-frère qui serait probablement aux anges d'être ici et sans faire attention, dévoila ses pensées à haute voix.

- « En tout cas mon frère aurait été ravi d'apprendre de vous, même si la pratique de la magie anima est plus dans ce qu'il connait. »

Ayden lâcha un petit rire en disant cela tout naturellement, sans nervosité; son franc-parler ressortait et c'était plus fort que lui. Pas pour être acerbe avec elle, au contraire, c'était un compliment subtile qu'il lui faisait. Son instinct soufflait à son propriétaire que son lord n'avait pas fait le mauvais choix en venant ici.

Emilien, son frère adoré, était le parfait sujet de conversation pour détendre l'atmosphère. Le lord avait bien remarqué que sa courtoisie mettait la jeune femme mal à l'aise, et lui avec du coup. En changeant de sujet, elle avait déjà l'air beaucoup plus sereine, même si cette dernière ignorait probablement de qui Ayden parlait exactement. En tout cas, le fait de savoir que quelqu'un puisse s’intéresser avec passion à son domaine avait l'air de la ravir.

- « Ah ça ...Le connaissant, il n'y a aucun doute là-dessus. Au cas échéant, vous allez devoir supporter quelque fois ma présence, navré de vous l'apprendre ! » Plaisantait-il.

En d'autres termes, il lui faisait comprendre que cela ne sera pas sa dernière visite; le prince avait trouvé une adresse pour venir de lui-même se réapprovisionner en médicaments. Après tout, on ne sait jamais ce qu'il peut arriver et avoir de quoi se soigner sur soi n'était jamais de trop. D'ailleurs, Ayden n'eut pas vraiment le temps de dire quoique ce soit que la commerçante s’éclipsa quelques instants, revenant ensuite pour lui faire un geste commercial en lui offrant des herbes dans un petit sachet. Pendant quelques secondes, le noble se contenta seulement de la regarder éberlué avant de laisser apparaitre un sourire grandissant jusqu'aux oreilles.

- « Dans ce cas, j'accepte votre cadeau avec plaisir. »

Durant son enfance, aussi triste que cela puisse paraître, il n'avait que très rarement reçu de cadeaux avant d'acquérir son titre de noblesse. Le dernier, aussi longtemps qu'il se souvenait, était l'ocarina que sa défunte mère lui avait offert et que le jeune homme gardait précieusement ou en jouait de temps en temps pour se vider l'esprit et baigner dans un instant de nostalgie. Et même si aujourd'hui Ayden était le prochain à la succession, les seules offrandes que ce dernier a reçues étaient celle de ne pas être orphelin de ses deux parents contrairement à son cadet, et...Ces quelques plantes. Cela paraissait anodin pour la demoiselle mais au fond, le prince était touché par sa gentillesse. Sans grande surprise, elle lui demanda s'il avait besoin d'autre chose. Sur le moment, pas vraiment, par contre une question ou plus précisément deux lui brûlaient les lèvres.

- « Hm hé bien, oui. Pourrais-je avoir votre nom ? Pour que je puisse vous remercier correctement. »
Son sourire n'avait pas quitté son faciès alors que le lord lui faisait cette requête. La deuxième, en revanche, lui paraissait un peu plus délicate à poser. Délicate pour lui. Alors Ayden hésita avant de se jeter à l'eau.

- « Et...J'aimerais savoir quelque chose, si cela ne vous dérange pas. »

Son expression s'était transformée en un instant, pour laisser place à une mine plus sérieuse. Au fond, le prince appréhendait un peu et son anxiété se traduisait par le tapotement un à un du bout des doigts de sa main droit contre la surface du comptoir en bois massif. Et sans le savoir, celui-ci avait rendu la chose encore plus stressante.

Il pouvait enfin mettre un nom sur cette gentille personne. Elisa, qui était un prénom typiquement ylissien au vu de la connotation. En feuilletant le gigantesque arbre généalogique de sa famille l'autre fois dans la grande bibliothèque du château, le Prince d'Ylisse y trouva des prénoms assez ressemblant tels que Lissa, Elice ou encore Liza pour ainsi dire. En tout cas, le noble trouvait que cela lui allait à ravir et collait bien avec sa grande générosité de cœur. Sa requête lui paraissait délicate et pourtant la commerçante accepta sans sourciller en lui proposant même de s’asseoir au lieu de rester inutilement debout comme un piquet. Regardant la chaise, Ayden hésitait à se poser et fit plutôt part à la demoiselle un autre de ses tracas.

- « Vous n’acceptez pas par que je suis le Prince, rassurez-moi ? Je n'aimerais pas que ma présence vous contraint à faire quoi que ce soi, je risquerais d'en être chagriné si c'était le cas. »

C'était loin de ce qu'il voulait. Certes, celui-ci avait encore du mal à ce qu'on le traite plus "dignement" car après tout, peu de temps auparavant, il n'était qu'un simple combattant feroxien, rien d'autre. Et pour lui, tout le monde était égaux. Alors pourquoi certaines nations étaient aussi à cheval sur l'étiquette ? A jouer l'hypocrite ? Le jeune homme vivait dans un autre monde. Mais il n'avait pas le choix que de s'y plier à cause d'une mauvaise image qui pourrait se rajouter parmi les soucis bien importants de son pauvre père. Finalement, le lord opta pour rester debout, ses yeux penseurs rivés vers le sol.

- « Que pensez-vous de mon père, l'Exalt Dristan ? Est-il un bon régent pour vous ? Comme vous le connaissez mieux que moi...Je voulais avoir votre avis. »

En réalité, cette question lui taraudait l'esprit depuis la nuit dernière. Hier, le roi s'était adressé à son peuple afin de leur présenter personnellement des excuses pour des erreurs commises presque dix-neuf ans auparavant et qui avait probablement attisé la colère des Valmiens dont l'Empereur, Taurok. Pour se venger, La Mort Rouge avait mis le Saint-Royaume sous embargo en coupant une grande partie des liens commerciaux entre les deux pays provoquant ainsi cette relative crise économique dans laquelle Ylisse se trouvait actuellement. Son père à l'époque n'était plus vraiment lui même : traversant une période sombre à cause d'une large blessure sentimentale, ses décisions avaient parfois manqué de lucidité dont la fois justement, où au lieu d'user de la diplomatie contre un groupe de mercenaires valmiens considéré comme dangereux pour la sécurité des nations avait utilisé la force pour les mettre hors d'état de nuire. Une histoire que l'Exalt avait dévoilée à son peuple pour prouver sa bonne foi car cet homme aimait profondément les ylissiens, son royaume. Il n'avait pas forcément fait les bons choix ou était simplement malchanceux dans la vie, c'est tout.

Pensant que sa question était peut-être hors de propos, le lord releva la tête avec un faible sourire sur son visage et posa une main amicale sur son épaule sans réfléchir.

- « Pardon, je pense que je n'aurais pas dû vous le demander ainsi. Vous n'êtes pas obligée de répondre, c'était juste à titre indicatif. Et si vous le voulez bien, soyez simplement sincère, c'est tout ce dont j'ai besoin. »

Pourquoi lui demandait-il cela, déjà ?

Le premier jour où Ayden avait mis les pieds à Ylisstol, il avait décidé d'ignorer les propos désobligeants à son égard des nobles de la Cour qui entouraient sa famille. Et depuis sa nomination en tant que prince héritier d'Ylisse, ce n'était pas seulement le jeune homme qui était visé mais aussi le roi. On remettait en doute ses compétences à gouverner, on critiquait la décision qu'il avait prit pour son "illégitime" de fils. On l'accusait aussi des mauvais rapport que le Saint-Royaume entretenait avec le Nouvel Empire de Valm. Le lord voulait y faire abstraction; il savait que son père était un homme bon mais qui fût malheureusement frappé de malchance. Pourtant, ces mécréants avaient réussi à semer le doute dans l'esprit déjà confus du pauvre garçon ! Alors comme pour se rassurer de ses convictions, Ayden avait besoin de l'avis de quelqu'un; d'une personne faisant parti du peuple, en qui il pourrait avoir confiance. Et cette personne était la demoiselle à ses côtés en ce moment-même.

Il attendait patiemment sa réponse, n'ayant que le silence dans la pièce et la vie citadine en fond sonore venant de l'extérieur. Toutefois, le noble déchanta très vite suite à ce que venait de lui déclarer la jeune femme; il avait la désagréable sensation d'avoir fait une erreur en lui demandant son avis.  

- « Vous avez raison. »

Le fils de l'Exalt se leva, une certaine déception se lisait sur son visage. La commerçante avait l'air aussi désolé que lui, peut-être un peu trop d'ailleurs. Il semblerait qu'elle était perturbée; le prince de son côté était déjà passé à autre chose. C'est là qu'Elisa parla de ses parents. Immédiatement, son expression changea du tout au tout : on pouvait apercevoir un mélange de surprise et d'empathie. Ayden savait ce qui était advenu de ceux qui l'avaient élevé contrairement à la jeune fille, et sentit le besoin soudain de lui tendre une oreille attentive.

- « Vraiment...? J'ignore si vous avez pensé à faire appel aux Veilleurs, mais ils sont à même de vous aider. D'autant plus que j'en fais maintenant parti donc je pourrais faire de votre requête une affaire personnelle. Mon passif de mercenaire et mon statut de prince me le permettent alors...Autant m'en servir pour une noble cause. »

Son histoire l'avait visiblement touché. Sa sensibilité s'est retrouvée ébranlée et ce qui lui est arrivé faisait indéniablement écho avec son propre passé. Cette femme en souffrait et en tant que descendant d'illustres héros ayant foulés ces terres glorieuses, il ne pouvait pas se permettre d'ignorer sa détresse. Avec la détermination et la douceur de ses iris cobalts, le lord se voulait rassurant. Ayden tiendra parole coûte que coûte quant à faire son possible pour retrouver les parents disparu de la jeune femme si tel était son souhait. L'homme n'avait rien de chevaleresque, hormis son cœur noble.

Un silence de mort régna et...Oh ! Le prince en avait presque oublié de payer ce qu'il devait ! Cherchant maladroitement dans sa poche, il en sortit sa fameuse bourse bordeaux remplie de pièce d'or qui ne provenait en aucun cas de la richesse du château mais de ses propres économies durement gagnées sur les routes de Regna Ferox.

- « Je vous dois combien ? »

C'est vrai. Il était là pour s'approvisionner en médecine à la base, quoique cet écart ne l'avait finalement pas dérangé si c'est pour le bien d'autrui et la satisfaction de faire une bonne action en ces temps de paix.